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Harcèlement sexuel : la journaliste Angela Kpeidja propose des mesures « efficaces, rapides et dissuasives »


La journaliste béninoise Angela Kpeidja propose des solutions « efficaces, rapides et dissuasives » contre le harcèlement sexuel. – © Angela Kpeidja

Texte par : Léonce Houngbadji

Depuis le 1er mai 2020, une affaire de harcèlement sexuel agite le Bénin, notamment à l’Office de Radiodiffusion et Télévision du Bénin (ORTB). A l’origine, les dénonciations publiques de la journaliste Angela Kpeidja. Dans un entretien qu’elle a bien voulu accorder à Notre Voix, elle a fait des témoignages poignants et dévoilé ses solutions concrètes contre le fléau. 

Le lieu de travail est généralement le premier espace dans lequel les femmes sont harcelées. « Le harcèlement sexuel, ce sont des gestes, des paroles, des pressions à connotation sexuelle et répétées qui finissent par porter atteinte à votre dignité en tant que personne ou en tant qu'humain. Ces gestes vous amènent à vous remettre constamment en question voire à vous renier vous-même », explique Angela Kpeidja. « Le harcèlement sexuel peut être subtile. En milieu professionnel, il peut s'agir par exemple d'un patron qui vous fait des propositions indécentes et de façon péremptoire en échange d'une facilité dans le travail ou d'une promotion. Parfois, il  peut vous toucher à brûle-pourpoint ou abuser de vous sous une contrainte liée à votre travail », a-t-elle souligné.

Dans les sociétés africaines, à l’en croire, les causes du harcèlement sexuel sont liées à la condition féminine et aux traditions qui font de l'homme, le sexe dominant de sorte que la norme pour la femme elle-même c'est de subir les hommes. « En milieu professionnel, après des années de lutte, le droit au travail étant octroyé à la femme, on a oublié de revisiter l'organisation du travail pour lui permettre de s'épanouir au même titre que l'homme. Dès lors, la femme doit se battre tout le temps  pour exister et ne pas être réduite à sa simple féminité », dénonce la journaliste de 47 ans.

Face à ce constat alarmant et déprimant, Angela Kpeidja décide d’agir. Pour faire arrêter le harcèlement sexuel sous toutes ses formes, elle propose des réponses « efficaces, rapides et dissuasives ». Pour elle, l’équation majeure à résoudre reste et demeure le silence des victimes. « Mais on ne peut pas y arriver sans déconstruire ces murs qui empêchent de libérer la parole. Et les clés de cette libération de la parole résident dans l'éducation des filles et des garçons ainsi que dans la formation. De même, dans nos sociétés africaines, on doit pouvoir changer de paradigme en changeant notre regard sur les victimes. Sur le plan institutionnel, il faut tourner dos à l'impunité et rendre nos institutions plus fortes en matière de répression des violences faites aux femmes et de protection des femmes et des victimes. Sur le plan judiciaire, il faut une brigade spécialisée avec des acteurs qui sont formés pour prendre en charge les victimes et suivre la procédure. Justement, les lois en vigueur doivent être aussi revisitées pour les rendre beaucoup plus dissuasives », a-t-elle préconisé.   

« J’encourage les victimes à oser prendre la parole ou à se confier à une personne de confiance. Il faut toujours garder une trace du harcèlement. Toute violence faite aux femmes déclarée doit faire l’objet immédiatement d’une réponse pénale et sociale forte », a-t-elle insisté, avant de lancer un appel pressant au renforcement de la prévention au sein des entreprises et à la lutte contre l’inégalité entre les femmes et les hommes dans le milieu professionnel.

Formation plus profonde du personnel ; prévoir de lourdes sanctions contre les entreprises publiques et privées qui protègent les auteurs des agressions contre les femmes ; faciliter les recours à travers un organe indépendant ; renforcer le système judiciaire ; former des personnes dédiées à ces questions sensibles ; renforcer le rôle des associations spécialisées dans l’accompagnement des victimes de harcèlement sexuel ; organiser des journées thématiques inter-entreprises ; éduquer et sensibiliser dès le plus jeune âge pour lutter contre les violences sexuelles en général et multiplier les campagnes de sensibilisation. Telles sont d’autres propositions concrètes qu’elle suggère au pouvoir public et à tous les acteurs intervenant dans le domaine.

Affaire Angela Kpeidja

L’affaire Angela Kpeidja est la révélation publique de harcèlements et d’agressions sexuelles commises contre certaines femmes béninoises. En mai 2020, Angela Kpeidja est sortie de son silence pour dégainer sur ses « agresseurs ». Sa publication sur son compte Facebook était virale, poussant d’autres victimes comme Priscille Kpogbémé à briser le silence. Le chef de l’Etat, Patrice Talon, s’est saisi du dossier, sans suite à ce jour. De son côté, l’Office de Radiodiffusion et Télévision du Bénin (ORTB), qui l’emploie, avait publié un communiqué pour balayer du revers de la main ses accusations.

Revenant sur sa publication du 1er mai 2020, elle précise : « A l'époque, mon confrère avait d'abord tenté de me violer alors que nous étions à un séminaire. Devenu mon supérieur hiérarchique, je n'ai pas cessé de faire l'objet de gestes déplacés de sa part. Des tapes sur les fesses à des demandes de fellation. J'ai subi de sa part toutes sortes de pressions à connotation sexuelle et morale. Dans la rédaction où j'étais chef desk, j'avais fini par me résoudre à vivre à côté de mes collègues au lieu de participer pleinement au travail. Tenez ! Je ne pouvais même pas passer un stylo chez mon supérieur hiérarchique de sorte que j'étais constamment frustrée. Arrive le jour où en pleine conférence de rédaction, il me profère des insultes du genre : « tu es une prostituée, une éhontée, tu n'arrives pas à la cheville de ma femme ». 

Tout ceci devant une vingtaine de journalistes médusés. Plus tard, malgré ma volonté de faire fi de la situation et de continuer le travail, j'ai été mise au placard. Mieux, mon supérieur hiérarchique ne répondait plus à mes salutations. Informé, aucun responsable n'a cru devoir mettre un terme à ma souffrance devenue quotidienne. Par finir, j'ai perdu mon poste de chef desk pour être complètement affaiblie dans la rédaction. Je suis passée par des questionnements, des remises en cause, qui ont fait baisser en moi l'estime de soi. 

 

Toujours dans les médias et dans cette boîte, un ancien directeur a usé de différentes astuces pour m'obliger à céder à ses demandes de faveurs sexuelles. Mise à pied, désœuvrement... Il a poussé la "proie" que j'étais à venir à lui. C'est alors que d'emblée, il a exprimé son souhait d'avoir mon "titi" (vagin) pour utiliser ses propres termes. Après cette  humiliation qui n'a pas suffi à ce que je me rende, j'ai été maintenue dans le désœuvrement. Cette affaire va connaître son épilogue grâce au Secrétaire Général du Syndicat de l’ORTB ». 

Choc indélébile

Ces faits ont causé des traumatismes graves. « Je ne peux pas nier que je porte des séquelles de ces traumatismes répétés. Et je demande justice, mais surtout pour les autres victimes », insiste Angela Kpeidja. Elle soutient avoir subi une torture morale et psychologique dévastatrice. « Au début, dans mon travail, je manquais de confiance et d'assurance. Et cela se remarquait dans mon rendement au travail. Les périodes de désœuvrement ont été très mal vécues. Sur le plan sanitaire, j'ai souffert du mal de dos, d'une névralgie cervico-brachiale suite à un trop plein de stress. Mes enfants en ont aussi souffert à l'école et même dans la rue, avec des moqueries de toutes sortes », a-t-elle témoigné.

En plus de la souffrance psychologique qui était la sienne en tant que victime, elle a dû essuyer le regard méprisant de ses collègues, de certains de ses amis, de la société en général. « Et c'est là qu'on se rend compte de toute l'ineptie de la réaction de la société. En général, quand on est cambriolé, les gens sont épris de compassion. Mais lorsqu'on vous vole votre intimité, vous devez vous justifier, affronter le regard inquisiteur de la société. J'ai dû puiser ma force dans l'amour que j'ai pour ma fille et dans la responsabilité de protection que j'ai vis-à-vis d'elle. La réalité, c'est que dans le milieu professionnel, j'avais toujours dénoncé les coupables sans avoir gain de cause. La situation se retournait toujours contre moi. C'est toujours leur parole contre la mienne », fait-elle observer, les yeux remplis de larmes.

"Bris de silence"

Angela Kpeidja ne veut pas que l’histoire oublie son témoignage. C’est la raison pour laquelle elle a pris la décision de l’écrire dans un livre intitulé "Bris de silence". Mais avant, elle a créé le mouvement #N’aiepaspeur pour encourager les femmes à dénoncer les auteurs des agressions qu’elles subissent. « L’ouvrage raconte les déboires dans le milieu universitaire comme professionnel et les violences sexuelles subis par la femme ordinaire que je suis. Un peu pour dire que c'est le calvaire que nos filles vivent dans notre société et pour inviter à un changement de comportement. Le lancement est prévu pour le 20 août 2021 à Cotonou, au Bénin. Il sera ensuite rendu disponible dans les librairies », a-t-elle annoncé.

Qui est Angela Kpeidja ?

Agée de 47 ans, Angela Kpeidja est mère de deux enfants. Après avoir obtenu son Bac série C, elle s’est inscrite au Collège Polytechnique et Universitaire (CPU) d'Abomey-Calavi d'où elle sort avec un diplôme d'Ingénieur biotechnologiste.

Après quatre ans de vie professionnelle dans le monde médical, elle passe avec succès un test de recrutement à LC2, une chaîne de télévision privée béninoise. Débute alors pour elle sa carrière de journaliste. Plutôt de nature ouverte et communicative, elle s’est inscrite dans un Institut de formation en communication pour obtenir une maîtrise professionnelle en communication.

Entre-temps, ayant perdu son premier job dans les médias, elle a initié un magazine spécialisé dans le secteur de la santé dénommé "C'est ma vie". Chroniqueuse santé sur l'émission télévisée "Week-end Matin", sur la télévision nationale, elle a finalement été recrutée à la radio nationale, en 2008.

Déterminée à se mettre à son propre compte, elle a saisi l'opportunité de la formation initiée par la Haute Autorité de l’Audiovisuel et de la Communication (HAAC) pour faire, sur fonds propres, son Master en management des médias. Aujourd'hui, elle est chef service Web à l'Ortb.

Passionnée des métiers de l'art (acteur, comédie, réalisation, cinéma...), celle qui aime manger la pâte de maïs accompagnée du crincrin a touché à tout dans la presse nationale : la presse écrite, la radio, la télévision ainsi que le web.


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