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Succès Masra, de la banque à la politique pour bâtir un Tchad meilleur


Succès Masra, président du mouvement politique Les Transformateurs au Tchad. DR (Le Monde Afrique).

Texte par : Thalf Sall

Succès Masra a démissionné de son poste d'économiste en chef à la Banque africaine de développement (BAD) pour rentrer au Tchad. L’objectif visé est de s'engager en politique pour permettre aux citoyens d’être informés de manière contradictoire sur la politique conduite par le gouvernement, tout en leur proposant une alternative politique sur la base d’un programme réaliste et réalisable. Les solutions qu’il propose pour mettre son pays sur les rails de la démocratie et du développement sont novatrices. Elles ont vite trouvé un écho favorable auprès des jeunes. Succès Masra est aujourd’hui l’espoir de la jeunesse tchadienne. Parviendra-t-il à transformer le Tchad ?

Titulaire d’un doctorat en Sciences économiques de l’université Paris 1-Sorbonne, diplômé en Finance et stratégie à Sciences Po Paris et en Gouvernance et leadership à l’université d’Oxford, Succès Masra connaît profondément les problèmes du Tchad. C’est pourquoi il a une réponse concrète pour chaque préoccupation. Ses solutions dans les domaines de la démocratie, de l’Etat de droit, de l’éducation, de la santé, de l’énergie, de l’emploi, de l’agriculture, de l’eau, de l’environnement et de la bonne gouvernance sont réalistes et participatives. Plus est, il tient un discours politique totalement différent de ceux entendus depuis les indépendances. C’est un antisystème, qui appelle ouvertement à sauver le Tchad avec de nouveaux visages et de nouvelles idées. « Il faut tourner définitivement la page du "système" Déby », affirme-t-il, insistant sur l’urgence de mettre les Tchadiens au cœur de la vie politique.

Ancien économiste en chef à la Banque africaine de développement (BAD), il entend bâtir, ensemble avec les Tchadiennes et les Tchadiens, de l’intérieur et de la diaspora, une République paisible, libre, « juste », « solidaire », « exigeante » et exemplaire, « basée sur des contrats de performance » et la reddition de comptes.

En avril 2018, après avoir quitté son poste de chargé de la conception et de la mise en œuvre des projets à la Banque africaine de développement (BAD), il crée Les Transformateurs, « une alternative crédible au gouvernement tchadien », pour donner espoir aux populations houspillées par une trentaine d’années de dictature. A travers ce mouvement politique, il donne envie aux jeunes de s’engager en politique aux fins de refonder ce pays d’Afrique centrale de plus de 17 millions habitants. « Nous voulons être une force de propositions pour bâtir un Tchad meilleur et former des personnes à un nouveau mode de leadership pour progressivement gagner la place publique. L’idée, c’est de former les futurs décideurs, d’amener des personnes qui ne se sentaient pas forcément concernées par la politique à se lancer et à convaincre leurs maires, leurs députés, etc. C’est ce que j’appelle l’école de la transformation, qui doit fonctionner à tous les échelons », a-t-il confié à nos confrères de Jeune Afrique.

Point de passage entre l’Afrique du Nord et l’Afrique subsaharienne, le Tchad est l’un des pays les plus pauvres au monde, avec un Indice de Développement Humain (IDH) de 0.401 (187e sur 189 pays), selon le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD). C’est aussi le dernier dans le classement de l’Indice du capital humain de la Banque mondiale. Plus de la moitié de la population vit en dessous du seuil de pauvreté.

Pays sahélien et enclavé d’Afrique centrale, sans accès à la mer, le Tchad n’a jamais connu véritablement la paix, la stabilité, la sécurité et le développement. Les défis sécuritaires liés aux conflits dans les pays limitrophes et aux conséquences du changement climatique, notamment à l’accélération de la désertification et à l’assèchement du lac Tchad, ne sont plus à présenter. « Le Tchad dispose d'une longue histoire de conquêtes armées du pouvoir, mais le résultat, c'est que nous sommes les derniers sur tous les plans », confirme Succès Masra.

Pour débloquer le Tchad, ce jeune de 38 ans issu d’une famille modeste propose « Une volonté pour le Tchad », un projet ambitieux pour le développement et la création de richesses partagées par tous. Ce sont des réformes et projets phares avec des impacts forts sur toute l’étendue du territoire national. « Nous voulons être un parti avec un plus et non un parti en plus. Nous voulons déjà avoir un bilan sans le pouvoir en poussant les gens à s’engager. Nos cadres ont l’obligation d’effectuer toutes les deux semaines une activité citoyenne : des consultations gratuites pour un médecin, du soutien scolaire pour un instituteur… Nous ne cherchons pas à être des opposants mais à transformer le pays. Nous voulons installer au Tchad un leadership serviteur », explique l’ancien fonctionnaire de la Bad, auteur de six livres sur les problématiques de développement en Afrique.

Des propositions pour une transition apaisée et démocratique

Ecarté de la présidentielle du 11 avril 2021, Succès Masra a été le seul responsable politique de l’opposition à avoir discuté avec le maréchal Idriss Déby Itno avant sa mort pour lui demander de reporter la présidentielle. C’était précisément le 16 mars 2021. « Nous sommes allés lui parler un langage franc et véridique, pas seulement au nom des Transformateurs mais au nom de tous ceux qui croient à la nécessité de changement dans notre pays. C'est pour porter à la fois cette demande de changement, cette demande de s'occuper de la vie des Tchadiens. Le Maréchal Déby m'a proposé les postes de Premier ministre et de vice-président. J'ai refusé, car je ne suis pas l'homme des calculs politiques, je prône le leadership-serviteur », a-t-il révélé. Comme pour dire qu’il ne trahira pas la douleur du peuple tchadien.

Dans le cadre de la transition en cours dans le pays, suite à l’assassinat d’Idriss Deby, il réclame la réécriture de la charte de la transition. « La durée de la transition doit être non renouvelable. Nous demandons un président civil, car la transition doit être civilo-militaire et non militaro-civile. Nous pourrions envisager une haute personnalité pour être président de transition à l'instar de l'ancien président Goukouni Oueddei. C'est une personnalité consensuelle qui a participé à des négociations internationales. Nous proposons un vice-président chargé des questions sécuritaires où les membres du Conseil militaire de transition pourront jouer un rôle. Le triumvirat réunissant le président, le Premier ministre et le vice-président doivent s'engager à ne pas se présenter aux prochaines élections. Nous proposons également d'organiser un dialogue inclusif réunissant tous les Tchadiens. Enfin, nous avons proposé de placer à la tête d'un groupe de contacts international, une personnalité maîtrisant les questions de sécurité dans le Sahel et qui a démontré son appétence pour la démocratie, comme le président Issoufou par exemple », a-t-il proposé.

« Le Tchad doit être démocratiquement assis, sans quoi il deviendra une bombe à retardement et lorsqu'elle éclatera, personne ne s'en sortira. C'est le moment où jamais pour le changement », a-t-il prévenu. Pour lui, la politique doit rester une vocation et non une profession. Il pense qu’un renouvellement régulier des élus et de ceux qui les entourent, dans le strict respect des règles démocratiques, doit être assuré.

 

Appel à la résistance pacifique

 

Au Tchad, aujourd’hui, s’il y a un citoyen qui est surveillé comme le lait sur le feu, c’est bien sûr Succès Masra. Le siège de son mouvement politique est régulièrement encerclé et visité par les forces de sécurité et de défense. Son passeport est confisqué par les autorités pour l’empêcher de quitter le pays. Ces actes d’« intimidation » ne le découragent pas. Il reste debout pour le Tchad. « Nous continuerons à résister », a-t-il rassuré, appelant l’opposition à poursuivre la résistance pacifique malgré la vague de répression qui s’abat sur les voix critiques. 

Le parcours de cette figure montante de l’opposition tchadienne est inspirant. Formé au Tchad, au Cameroun, en France et en Angleterre, Succès Masra a su donner espoir aux jeunes et montrer aux Tchadiens qu’on peut faire autrement la politique, en privilégiant l’intérêt général, avec une solution sérieuse pour chaque problème. Mais parviendra-t-il à transformer le Tchad comme il le souhaite ? Saura-t-il ratisser large autour de cet ambitieux projet de société ? A l'heure actuelle, c'est difficile de répondre à ces questions, vu l’évolution de la situation sécuritaire et politique sur le terrain. Seuls les jours à venir permettront de savoir jusqu'où il est capable d'aller. 


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