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Angela Kpeidja : « il vaut mieux prévenir la grossesse que d’avorter »


Angela Kpeidja, journaliste à l'Office de Radiodiffusion et Télévision du Bénin (ORTB), spécialiste des questions sanitaires et auteure de "Bris de silence" sur le harcèlement sexuel.

L’avortement est désormais légal au Bénin. Ainsi en ont décidé les députés de ce pays d’Afrique francophone de 12 millions d’habitants. Le sujet divise les Béninois et agite le pays. Pour le ministre de la Santé Publique, Benjamin Hounkpatin, « cette mesure vient soulager les peines de nombreuses femmes qui, face à la détresse d’une grossesse non désirée, se trouvent obligées de mettre leur vie en jeu par des pratiques d’interruption de grossesse dans des conditions non sécurisées ». De son côté, l’église catholique est contre : « la légalisation de l’avortement est la culture de la mort ». Journaliste à l'Office de Radiodiffusion et Télévision du Bénin (ORTB), spécialiste des questions sanitaires et auteure de "Bris de silence" sur le harcèlement sexuel dont elle a été victime, Angela Kpeidja  insiste sur la nécessité de « prévenir la grossesse en utilisant les méthodes contraceptives que d’aller vers l’avortement ». 

 

Propos recueillis par Kafoun Barry

 

Au Bénin, chaque année, des dizaines de femmes meurent des suites de complications d'un avortement. Quelles en sont les principales causes ?

 

Les causes qui conduisent les femmes à recourir à l’avortement sont diverses et souvent laissées à la discrétion du couple ou de la femme. Par contre, au plan médical, on propose l’interruption volontaire de grossesse dans deux principaux cas. Lorsque la présence du fœtus dans le ventre de la mère met en danger sa vie et lorsque le fœtus porte une tare, une malformation, le spécialiste laissera au couple le choix ou non d’une interruption volontaire de grossesse.

Jusqu’à la date du 20 octobre 2021, la loi autorisait aussi la femme à recourir à l’avortement en cas de viol ou d’inceste sous présentation d’un certificat qui le prouve. Pour tout vous dire, l’avortement n’a jamais été illégal.

 

Dans la nuit du mercredi 20 au jeudi 21 octobre 2021, les députés de votre pays ont légalisé l’avortement, en votant une loi pour encadrer la santé sexuelle et la reproduction. Comment analysez-vous cette décision ?

 

Depuis 20 ans que j’interviens sur les questions sanitaires, jamais les indicateurs de la santé sexuelle et de la reproduction n’ont été aussi alarmants. Je voudrais juste vous donner quelques exemples. Ce sont 1500 femmes qui décèdent au Bénin chaque année en voulant donner la vie. Nous sommes en dessous de 18% d’utilisation des méthodes contraceptives. Et à la recherche des causes liées à cette forte mortalité des femmes, les jeunes filles y compris, l’avortement clandestin vient en troisième position. Quand je parle de l’avortement clandestin, c’est celui qui se fait dans des conditions inhumaines, par un personnel non qualifié ou avec des potions dites magiques. 20 % des décès de jeunes filles sont liés aux grossesses indésirées qui conduisent aux avortements clandestins.

Dans la population des femmes en âge de procréer, c’est 15% des 1500 femmes qui décèdent chaque année qui sont imputables aux avortements clandestins. Je pense qu’il fallait avoir enfin cette clairvoyance pour élargir et sécuriser l’interruption volontaire de grossesse qui est un acte hautement médical qu’on peut offrir sans risque de décès aux femmes. Donc on n’a pas assoupli les conditions pour que chacun se lève pour y aller, il y a toujours un encadrement mais qui va contribuer à sauver plusieurs femmes.

 

Quelles sont les mesures essentielles contenues dans cette loi qui fait polémique ?

 

La nouvelle loi met juste l’accent sur les conditions dans lesquelles une femme peut recourir à l’acte médical qu’est l’interruption volontaire de grossesse. Son article 17 nouveau, alinéa 1, stipule que : A la demande de la femme enceinte, l’interruption volontaire de grossesse peut être autorisée lorsque la grossesse est susceptible d’aggraver ou d’occasionner une situation de détresse matérielle, éducationnelle, professionnelle ou morale incompatible avec l’intérêt de la femme et ou de l’enfant naître. Et la loi ajoute que l’interruption volontaire de grossesse envisagée en vertu de l’article 17-1 de la présente loi ne peut avoir lieu après 12 semaines d’aménorrhée. Clairement, il ne s’agit pas de laisser les femmes aller vers l’IVG à tout va.

 

Mais cette loi ne fait pas l’unanimité au sein de la société béninoise. La Conférence Episcopale pense que « la légalisation de l’avortement est la culture de la mort ».

 

Les responsables religieux sont dans leur rôle. Je respecte leurs opinions sur le sujet, mais il faut qu’ils s’adaptent à l’évolution de notre société. Sur la question du port de préservatif pour lutter contre le Vih-Sida, leur position a été toute aussi tranchée. Puis on a parlé de planification familiale, ils sont restés campés sur leur position pour promouvoir les méthodes naturelles, qui ont montré leurs limites. Les scandales dans leur milieu parlent à suffisance. En plus, il ne s’agit pas de permettre à tout le monde de recourir à l’avortement mais plutôt de sécuriser ce soin pour sauver des vies humaines.

 

Que proposez-vous pour que les abus soient sanctionnés ?

 

Je ne pense pas qu’en l’état, il y ait des abus puisque désormais, c’est à la femme même de choisir de recourir ou non à ce soin médical. Bien au contraire, cette loi la protège des abus qui l’emmenaient dans les couloirs de la mort. Par contre, les femmes doivent savoir que la décision de recourir à l’avortement est une décision très grave et doit être prise en dernier recours. Il vaut toujours mieux prévenir la grossesse en utilisant les méthodes contraceptives que d’aller vers un avortement.


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