Média 100% solutions

Traoré Maman, l’une des figures de réussite en Côte d’Ivoire


1 commentaire

Heure de publication : 09:00 - Temps de lecture : 5 min 49 s

Traoré Maman, communément appelée "Maman Déni", dans l’une de ses boutiques à Abidjan. – © Traoré Maman.

Elle ne sait ni lire, ni écrire, ni compter. Mais elle a réussi à s’imposer dans le monde des affaires en Côte d’Ivoire. Maman Traoré, communément appelée « Maman Déni », puisque c’est d’elle qu’il s’agit, est l’une des figures de réussite en Afrique. Son modèle de réussite inspire et donne envie d’agir, d’entreprendre, de s’engager ! Vincent Toh Bi Irié, ancien préfet d’Abidjan, livre ici les raisons profondes de son succès.

Texte par : Vincent Toh Bi Irié

Elle s’appelle Traoré Maman, plutôt connue sous le nom de « Maman Déni », reine du commerce des habits à Adjamé. Elle est née à Bouake, d’un père commerçant. Sa mère vendait du « soumara » dans les petits marchés de Belleville, Dar-es-Salam et Sokoura où elle habitait en face du 3ème Bataillon à Bouaké. « Maman Déni » vendait aussi les « soumara » avec sa mère, 7 à 100 frs et 3 à 50 francs. Son père décède en 1988 quand elle a 14 ans. A cette époque, elle partait à l’Ecole Coranique à Sokoura, derrière Anciens Combattants. Après le décès de son père, elle arrête l’Ecole Coranique pour se débrouiller afin d’aider sa mère à s’occuper des 13 enfants de la famille. Elle vend tour à tour des oranges, du « tofi », des mangues, des arachides dans les rues de Bouaké, en fonction de l’affluence des rues et des saisons. Puis, avec les quelques économies réalisées, elle se joint à sa sœur pour vendre des pagnes au marché Indigo de Bouaké.

« Maman Déni » ne sait ni lire ni écrire. Elle ne peut que compter sur sa débrouillardise. Très vite, elle apprend les ficelles de cette filière et décide de quitter Bouaké pour investir les zones moins occupées. C’est ainsi qu’elle se déplace fréquemment, déjà jeune, pour vendre les pagnes indigo à Daloa. Elle se fait une petite clientèle à Vavoua où elle a quelques parents. Elle y va donc fréquemment. Surtout dans le village de Dioulé. Elle fait ainsi la navette entre Bouaké et ces localités quand un jour, sa copine Diaby Dogoni l’informe qu’elle part à Abidjan pour continuer le collège à la demande de ses parents. Dogoni demande à partir à Abidjan avec sa meilleure copine, « Maman Déni », qui elle ne va plus à l’école. « Maman Déni » a alors 18 ans.

Les deux filles arrivent à Abidjan et logent au quartier Kaolin à Adjamé où se trouvent les parents de Dogoni. Chaque matin, lorsque Dogoni part à l’école, « Maman Déni » est à la maison avec la tante de Dogoni, qui s’appelle Nessou Diaby. Avec la tante de son amie, « Maman Déni » commence un petit commerce. Elles vendent de l’alloko et des ignames grillées. Au bout de plusieurs mois, elles dégagent un bénéfice de 30.000 frs (environ 46 Euros) qu’elles reversent entièrement dans une tontine du marché. Un an plus tard, c’est leur tour de bénéficier de la tontine. Elles empochent 350.000 frs, une vraie fortune dans cette zone. Les deux femmes se partagent la somme moitié moitié . Avec cette somme, « Maman Déni » entend démarrer un nouveau commerce. On lui parle de la vente de comprimés qui rapportent gros. Elle ne parle pas français, ne sait ni lire ni écrire. Elle ne sait pas ce qui est légal ou illégal. Pour elle, tout commerce est commerce. Sa grande sœur Bébé Kaba utilise des ramifications pour lui obtenir une petite place devant le dispensaire d’Adjamé. Elle y vend ses comprimés (en réalité des comprimés frelatés ou de contrebandes). Le petit commerce marche bien jusqu’au jour où des cargos de Police arrivent dans la zone de Roxy et ramassent toutes les femmes avec leurs marchandises. « Maman Déni» ne comprend pas. Elles et ses commères sont déversées à la Préfecture de Police où on leur signifie que leur commerce est illégal. Tous ses comprimés sont confisqués et sa liberté aussi.

Plus tard quand elle sort du violon, elle décide d’abandonner la vente de comprimés qu’elle ne savait pas illégale. Mais elle a tout perdu et doit repartir à zéro, sans aucun sou. Elle erre dans les marchés d’Adjamé à la recherche d’un soutien des baronnes des lieux. Quelques semaines plus tard, elle reçoit un coup de fil de Bouaké l’informant de ce que sa mère est malade. Elle s’endette et prend un car pour Bouaké. Elle y arrive la nuit et pendant qu’elle marche de la gare à la maison familiale en face du 3ème Bataillon, elle entend des tirs d’armes. Elle ne sait pas ce qui se passe. Elle voit le mouvement des militaires dans la ville. Nous sommes en Septembre 2002. Elle est bloquée dans Bouaké. Il n’y a pas d’entrée ni de sortie. Une rébellion vient de commencer et une nouvelle vie s’organise dans Bouaké. Les approvisionnements en produits de première nécessité deviennent difficiles.

« Maman Déni » commence alors un commerce de sacs de charbon qu’elle va chercher en brousse dans les villages à vélo et à moto et qu’elle revend à Bouaké. Lorsque le charbon commence à se faire rare, elle passe à un autre commerce de vente de carburant à la bouteille dans Bouake coupée du reste du pays. La situation sécuritaire à Bouaké ne s’améliore pas. Bien qu’elle ait de bons contacts locaux et des circuits commerciaux, elle décide de descendre sur Abidjan, en 2005. Elle recommence son commerce de pagnes indigo jusqu’à ce qu’un jour une amie l’informe de la possibilité d’acquérir des marchandises à moindre coût en Chine. Elle fait encore de petits commerces pendant encore un an à Abidjan. Avec les sommes économisées, elle organise son premier voyage en Chine, avec un groupe de femmes d’Adjamé. Elle y achète quelques cartons de sacs et de chaussures qu’elle vend à Abidjan et aussi à Bouaké. Les bénéfices sont bons, elle retourne en Chine une deuxième fois et revient avec davantage de marchandises. Elle organise d’autres voyages et gonfle progressivement son chiffre d’affaires.

Habituée maintenant aux voyages, elle ouvre une autre filière de voyages sur Dubaï d’où elle ramène des foulards, des robes et des habits d’enfants. Bientôt, elle est submergée par les commandes. Elle ne peut plus revenir avec la marchandise, faire la vente au détail et retourner en Chine et à Dubaï, cela lui prend trop de temps. Elle devient donc grossiste. Elle vend aux détaillants et voyage donc plus fréquemment. Pour faciliter ses transactions, elle ouvre un grand magasin au quartier Petit Lomé à Adjamé. Puis un autre magasin, puis un autre encore. Elle devient dans la zone la reine et la référence en matière d’habits.

A 35 ans, elle se rappelle que le commerce a pris sa vie et qu’il lui faut se marier. Ce qu’elle fait. Puis elle part à la Mecque par ses propres moyens et devient « Hadja ». Sur ses 12 frères et sœurs, 5 sont décédés, il en reste 7. Elle s’occupe de la plupart d’entre eux, les intègre à la chaîne de son commerce et les soutient d’une façon ou d’une autre.

Avec son acharnement au travail, « Maman Déni » se fait remarquer par toutes les femmes commerçantes qui en font leur Présidente. Aujourd’hui, elle est à la tête d’une association qui porte son nom (Association Traoré Maman), et regroupe plus de 1.000 commerçantes. Elle les encadre, plaide leurs situations et leurs droits devant la Mairie et les responsables du Commerce, oriente les jeunes filles analphabètes ou illettrées.

Au volant de sa propre voiture, elle fait le tour des commerces de ses protégées. Bien que ne sachant ni lire ni écrire, elle ouvre un compte Facebook qu’elle fait animer pour communiquer, vendre ses produits, se faire connaître et faire suivre ses activités. Aujourd’hui « Maman Déni » est incontournable dans les décisions politiques et sociales d’Adjamé. De vendeuse de « soumara » et « tofi » à grande Présidente de femmes commerçantes pesant lourd, « Maman Déni » l’a fait. Modèle de lutte sociale, de combativité, d’affirmation et de partage. « Maman Déni », un exemple pour les filles analphabètes qui croient que tout est perdu et qui mettent leurs vies sous la dépendance des autres.

Moralité : Il n’y a aucun obstacle insurmontable à qui veut réussir ; il n’y a aucun handicap infranchissable à qui sait sublimer ses faiblesses en force de production sociale. Jeune fille, « Hadja Maman Déni » du marché d’Adjamé te dit que tu peux réussir dans la vie et t’affirmer comme tous « les grands types de ce pays », par ton travail, ton honnêteté et ta force intérieure. N’être pas allée à l’école ne doit pas signer la fin de tes ambitions et de ton désir d’autonomie. Bats-toi proprement !

Vincent Toh Bi Irié, ancien préfet d’Abidjan, en Côte d’Ivoire, est l’auteur de ce témoignage. Le titre et le chapeau du texte sont produits par la Rédaction.


Lire les commentaires (1)

Articles similaires


1 Commentaires

Ne sera pas publié

Envoyé !

Choguena
18 APRIL 2022 à 14:08

J'ai lu et relu l'article plus de 10 fois déjà ! Son histoire est identique à celle qu'une de mes tantes a vécue au Mali. J'ai même coulé des larmes. Elle m'a rappelé immédiatement ma tante, morte il y a deux ans. Oui, on peut ne pas aller à l'école et réussir. Oui, on peut ne pas avoir des diplômes et réussir. La réussite est le fruit du sacrifice, de l'effort, de privation, de la volonté, de la détermination, de la discipline... L'alphabétisation tout le long de la vie à travers l'éducation populaire renforcerait la capacité de ces femmes et de ces hommes qui ont su sortir la tête de l'eau, sans aller à l'école.

Catégories

video-play-icon