Maman Déni : l’analphabète devenue reine du commerce à Adjamé
Heure de publication : 09:00 - Temps de lecture : 5 min 49 s

Traoré Maman, communément appelée "Maman Déni", dans l’une de ses boutiques à Abidjan. – © Traoré Maman.
Elle ne sait ni lire, ni écrire. Pourtant, elle dirige aujourd’hui une association de plus de 1 000 commerçantes, gère plusieurs magasins et importe ses marchandises de Chine et de Dubaï. Traoré Maman, plus connue sous le nom de Maman Déni, est l’incarnation vivante de la résilience, de l’ingéniosité féminine et de l’autonomie par le travail. Une icône populaire au parcours hors du commun.
Texte par : Léonce Houngbadji
Née à Bouaké, au cœur de la Côte d’Ivoire, Maman Déni grandit dans un foyer modeste. Son père commerçant décède alors qu’elle n’a que 14 ans. Avec sa mère, vendeuse de soumara, elle arpente les marchés de quartiers populaires. Loin des bancs de l’école, elle apprend tôt à négocier, vendre, rebondir. Sa première école, c’est la rue. Son premier diplôme, c’est la débrouillardise.
Après plusieurs années à vendre des oranges, tofi et arachides dans les rues, elle rejoint sa sœur au marché Indigo pour vendre des pagnes. Le sens du commerce est déjà en elle. Elle quitte alors Bouaké pour explorer de nouveaux marchés : Daloa, Vavoua, Dioulé… avant de poser ses valises à Abidjan, à 18 ans.
À Adjamé, elle commence par vendre des ignames grillées et de l’alloko avec une tante. Grâce à une tontine bien gérée, elle investit dans le commerce… de comprimés, sans savoir que ces produits sont illégaux. Une descente de police met brutalement fin à cette activité. Elle perd tout et repart de zéro.
De retour à Bouaké pendant la rébellion de 2002, elle se reconvertit dans la vente de charbon, puis de carburant en bouteille. De fil en aiguille, et grâce à ses économies, elle revient à Abidjan, reprend la vente de pagnes et découvre l’opportunité des voyages en Chine.
Son premier voyage à Guangzhou marque un tournant. Elle en revient avec des sacs et des chaussures qu’elle revend avec succès. Elle multiplie ensuite les allers-retours avec la Chine et ouvre une nouvelle filière sur Dubaï. Les affaires prospèrent. Elle abandonne la vente au détail pour devenir grossiste. Elle ouvre plusieurs magasins à Adjamé, notamment à Petit Lomé, et s’impose comme une référence dans le commerce d’habits et d’accessoires de mode.
Une cheffe d’entreprise et une cheffe de file
Forte de son influence grandissante, Maman Déni crée une association à son nom, qui regroupe plus de 1 000 femmes commerçantes. Elle devient leur porte-voix auprès des autorités, les conseille, les oriente et les aide à s’organiser. Elle soutient les jeunes filles analphabètes comme elle, leur prouve que ne pas être allée à l’école n’empêche pas d’être une femme forte, autonome et respectée.
Elle gère aujourd’hui son commerce depuis sa propre voiture, fait le tour de ses points de vente et anime un compte Facebook pour assurer sa communication. Elle est aussi devenue Hadja, après avoir accompli le pèlerinage à la Mecque avec ses propres moyens. Et surtout, elle s’occupe de ses frères et sœurs restants, leur offre des opportunités et les intègre dans ses activités.
Maman Déni est bien plus qu’une commerçante. Elle est un symbole de dignité féminine, une voix des sans-voix, une figure d’espoir pour des milliers de femmes africaines. Son parcours prouve qu’il n’existe aucun obstacle infranchissable pour celle qui croit en elle-même, travaille dur et refuse la dépendance.