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Jacob Yarigo, spécialiste des questions de sécurité : ses 10 propositions concrètes contre le terrorisme dans le Sahel


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Heure de publication : 17:10 - Temps de lecture : 4 min 17 s

Jacob Yarigo, spécialiste des questions de sécurité en Afrique francophone.

Propos recueillis par Thalf Sall

Les terroristes continuent de semer la terreur dans plusieurs pays africains. Les derniers cas en date sont les attaques perpétrées au Bénin, au Togo, au Burkina Faso et au Mali (encore ce matin). Quelles solutions pérennes pour venir à bout de ce fléau qui se répand comme une trainée de poudre ? La question a été posée à Jacob Yarigo, diplômé de l’Ecole nationale d’administration (Ena-Bénin) et spécialiste des questions de paix et de sécurité en Afrique francophone. Eléments de réponse.

Les attaques terroristes se multiplient dans plusieurs pays africains, notamment dans la région du Sahel. Ces derniers jours, les terroristes ont encore endeuillé plusieurs familles au Bénin, au Mali et au Burkina Faso. Selon vous, quelques sont les causes profondes de ce fléau ?

 

Afin de comprendre la complexité des facteurs de la crise qui enflamme le Sahel depuis plusieurs années, il est tout d’abord nécessaire d’admettre son caractère multidimensionnel, qui va bien au-delà de la seule problématique de la lutte anti-terroriste auquel on la réduit trop souvent. Au nombre de ces facteurs, nous pouvons évoquer, sans être exhaustif :

 

  • les rebellions politico-indépendantistes : elles ont été actives de longue date au Mali et au Niger. Le MNLA (Mouvement national de libération de l’Azawad), le HCUA (Haut conseil pour l’unité de l’Azawad) et le MAA (Mouvement Arabe de l’Azawad) sont des exemples types
  • les conflits liés à la gestion des ressources naturelles : un grand nombre de conflits mettent aux prises des communautés qui s’affrontent durement pour accéder, gérer ou exploiter les différents types de ressources. Ainsi, avons-nous les conflits liés à la gestion des ressources agro-pastorales et foncières, les conflits liés à l’exploitation des richesses du sous-sol…
  • la remise en cause des ordres politiques et sociaux : on distingue deux types de conflits à ce niveau (les conflits de leadership et de légitimité et la renégociation des ordres statutaires et hiérarchisés)
  • la communautarisation de la sécurité : les groupes d’auto-défense recrutés sur les bases communautaires se sont multipliés dans la région sahélienne. C’est le cas notamment du Mali où des milices « Dogons » et « Bambaras » s’opposent aux groupes d’auto-défense Peuls. Ces affrontements font l’objet de terrifiants massacres humains
  • les rébellions politiques et mouvements populaires : au Mali, l’insurrection populaire conduite par le Mouvement du 5 juin (M5-RFP), parachevé par l’intervention de la junte militaire du CNSP (Comité national pour le salut du peuple), a renversé le président Ibrahim Boubacar Keïta (IBK). Cette puissante vague de protestation populaire est à rapprocher de celle qui a abouti en 2014 au renversement du régime de Blaise Compaoré au Burkina Faso…

 

Les Etats durement touchés et la communauté internationale misent sur des solutions militaires pour venir à bout des terroristes, sans résultats concrets. Vous qui suivez l’évolution de la situation dans la région, que proposez-vous concrètement pour que la lutte donne des résultats plus probants ?

 

Le constat fait par les acteurs de la région sahélo-saharienne au cours des « Conversations régionales » pour la prévention de l’extrémisme violent conduisant au terrorisme depuis 2015 est qu’en dépit des multiplications des réponses militaires, celles-ci, même si elles sont nécessaires, ont démontré leurs limites dans la mesure où elles traitent des effets du phénomène plutôt que ses causes profondes. C’est pourquoi, nous proposons 10 solutions sérieuses, pour détruire le terroriste sous toutes ses formes sur le continent :

  1. Apporter une réponse régionale intégrée plutôt que de multiplier les stratégies et programmes nationaux isolés
  2. Placer la culture, la citoyenneté et l’éducation au cœur des dispositifs de prévention de l’extrémisme violent conduisant au terrorisme
  3. Œuvrer avec les médias pour une information objective, pour relayer les discours de paix et faire valoir des expériences réussies de prévention
  4. Nécessiter de favoriser tous les espaces de dialogues à travers lesquels la cohésion sociale et le lien entre la société et l’Etat se renforcent, surtout dans les zones marginalisées
  5. Favoriser la participation des femmes, des jeunes, des communautés locales et des familles dans le développement et la mise en œuvre des initiatives de prévention du terrorisme
  6. Reconnaître le rôle capital de la responsabilité des pouvoirs publics et des acteurs politiques dans la prévention des actes terroristes
  7. Engager le dialogue entre les forces de défense et de sécurité et les communautés afin de renforcer la confiance et corriger les comportements abusifs
  8. Repenser, à l’interne, les politiques économiques en direction des régions déjà touchées par le spectre terroriste
  9. Développer des politiques concrètes et spécifiques à l’endroit de la jeunesse de l’Afrique francophone
  10. Repenser le « contrat social » (relation entre Etat et citoyens).

 

Quel pourrait être l'impact de ces solutions sur le terrain ?

 

A court terme, cela permet de réduire considérablement les frappes terroristes et mitiger le risque terroriste. A moyen terme, elles permettent à la population de jouir pleinement de ses droits économiques, sociaux, politiques et culturels. A long terme, ces solutions envisagées ont l’avantage de renforcer la cohésion sociale autrement dit de restaurer le contrat social entre le citoyen et les pouvoirs publics et par conséquent de promouvoir un développement équilibré et harmonisé et une intégration sous-régionale plus efficace.

En définitive, pour reprendre les mots du Secrétaire général des Nations unies, António Guterres, « l’édification de sociétés ouvertes, équitables, inclusives et pluralistes fondées sur le plein respect des droits de l’homme et offrant des perspectives économiques à tous, est le moyen le plus concret et le plus adapté d’échapper à l’extrémisme violent. » Au moment où les Talibans ont repris le pouvoir à Kabul, vingt ans après l’intervention militaire occidentale, et que la question des négociations entre les Etats sahéliens et certains éléments djihadistes se pose de manière de plus en plus pressante, la prévention de l’extrémisme violent semble quelque peu en perte de vitesse sur un agenda international antiterroriste aujourd’hui dominé par la question du retour des combattants terroristes étrangers qui avaient rejoint DAESH et des membres de leurs familles en provenance d’Iraq et de Syrie. Pourtant, les questions de gouvernance de société de plus en plus multiculturelles et plurielles, et de la relation entre Etats et citoyens ou « contrat social » au cœur de la prévention de la violence, continuent de se poser avec insistance dans beaucoup de pays francophones et au-delà. Il faut donc forcément revoir la stratégie de lutte anti-terroriste.


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Vianney
10 AUGUST 2022 à 16:51

Voilà des propositions très concrètes, réalistes et réalisables pour sortir l'Afrique du terrorisme. Bravo cher Jacob!