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Karen Adédiran Nganda : «il n’y a pas d’avenir si nous négligeons les jeunes»


Karen Adédiran Nganda, auteure de l’ouvrage « Les icônes de Kimia ».

Texte par : Thalf Sall

Karen Adédiran Nganda est d’origine cap-verdienne et Yoruba. C’est au Sénégal, où elle est née, qu’elle a obtenu son baccalauréat avant de poursuivre ses études supérieures en communication politique. Formée au droit international humanitaire, aux enjeux liés à la sécurité internationale et alimentaire et à la gestion des projets internationaux, elle s’engage dans la promotion d’une Afrique positive et gagnante. Dans une interview à l’une de nos équipes, elle invite les dirigeants africains à investir dans l’éducation et la formation des jeunes car, à l’en croire, une société qui ne prend pas bien soin des jeunes n’a pas d’avenir.

Comment expliquez-vous votre passion pour l’Afrique ?

 

Je ne saurai l’expliquer puisque c’est quelque chose qui émane de moi. L’ancrage à la terre, la connexion, l’enracinement est quelque chose de profond que l’on ressent, et qui ne s’explique pas.

L’Afrique est pour moi une source de vitalité. Je me sens bien à ma place, dans chaque pays du continent que j’ai eu l’opportunité de découvrir.

 

Concrètement, qu'est-ce qui vous passionne ?

 

C’est une bonne question. Je suis profondément curieuse depuis ma tendre enfance. J’aime aller à la rencontre de l’autre, découvrir différentes cultures, différents paradigmes.

La lecture et le voyage sont d’excellents moyens d’apprendre continuellement, et d’aérer son esprit. Je crois que c’est cela qui me passionne le plus : questionner mes certitudes jour après jour et finir par ne plus en avoir.

 

Vous êtes optimiste quant à l'avenir du continent. Qu'est-ce qui vous donne cette assurance ?

 

Césaire disait : « On a la foi ou on ne l'a pas, mais moi, je refuse de désespérer de l'Afrique. Ce serait refuser d'espérer, tout simplement. »

Bien que ce ne soit pas évident au vu de l’actualité et des problèmes singuliers de chaque pays d’Afrique, je crois fermement que le combat pour ce continent est un combat de relais.

Chaque génération à sa part à jouer dans son élévation. Lorsque l’on part défaitiste, on ne réalise rien. Je pense que le premier échec dans la vie, c’est d’avoir un mindset de perdant.

Nous avons des forces vives en Afrique et dans la diaspora, et même si les clichés, les préjugés, perdurent depuis l’époque coloniale, il y a beaucoup de choses positives qui émanent de la nouvelle génération. Je préfère me concentrer sur les initiatives pérennes et ambitieuses que sur le négatif qu’on ne cesse de nous montrer.

 

Depuis 2018, fière de vos racines africaines, vous décidez de promouvoir ses valeurs, ses atouts et son histoire. Pourquoi un tel choix ?

 

J’ai décidé de jouer ma partition, à mon échelle tout simplement. Pourquoi toujours tout attendre des autres ? La création de ma page afro conscience est partie d’un constat simple : les ressources sont là, les écrivains aussi mais le manque de diffusion et d’études de certains historiens et/ou auteurs créent un réel manque au sein de nos communautés.

Au gré de mes recherches, j’ai décidé de partager mes découvertes et quel fût ma surprise lorsque cette page pris tant d’ampleur. C’est bien la preuve que le besoin est réel et manquant sur le marché concernant l’Histoire de l’Afrique très globalement.

 

La promotion d'une image positive de l'Afrique répond fondamentalement à quel besoin ?

 

Cela répond à un besoin d’appartenance, mais aussi de projection et de fierté culturelle.

L’Afrique est un continent riche du fait de sa diversité linguistique et culturelle. La culture est un élément vital pour construire une société dynamique. Les plus jeunes ont besoin de modèles de réussite qui leur ressemblent, et qui sont proches d’eux. Thomas Sankara disait : « on ne devient que ce que l’on connaît ».

On ne peut pas sans cesse nous rabâcher l’Histoire de l’esclavage sans nous parler des résistances ou de l’Afrique impériale. On se complaît dans l’assistance par manque d’espoir.

 

Quelles sont les méthodes que vous utilisez pour conscientiser l'opinion ?

 

J’ai décidé d’écrire une série de tomes sur l’Histoire de personnages clés africains allant de l’Afrique impériale à la période coloniale jusqu’à la période contemporaine.

A travers mon 1er tome « Les icônes de Kimia », j’ai choisi une petite fille Kimia comme personnage emblématique pour pallier le manque de représentation positive des enfants noirs dans la littérature jeunesse.

Kimia aborde des problématiques telles que le colorisme et l’assimilation avec des mots simples. Elle revient sur des notions comme l’autodétermination et l’intégrité et propose des perspectives aux jeunes lecteurs. Le Quizz à la fin du livre le rend interactif et pédagogique. Kimia demande aux lecteurs de se projeter : « Que rêves-tu d’accomplir dans la vie ? » demande-t-elle.

 

Comment cet ouvrage a-t-il été accueilli par le public ?

 

Le livre a été accueilli de manière spectaculaire au-delà de mes attentes. Le jour du lancement, j’ai dépassé des dizaines de commandes en 12 h. J’ai sous-estimé la demande et j’ai dû prévoir un second tirage moins d’un mois après le lancement. J’ai eu des centaines de messages de parents et d’enfants qui me remercient pour ce travail de vulgarisation de l’Histoire. Que ce soit des Africains ou des personnes d’autres cultures qui souhaitent avoir une bibliothèque diversifiée.

L’Afrique est le continent mère où tout à commencer. Il est important de parler de ce continent et des apports majeurs qu’il a permis à la société avant que sa grandeur ne soit interrompue.

Tout comme il est important de rappeler que les Africains se sont battus pour obtenir leurs libertés. Les oppresseurs ne libèrent jamais. Ils capitulent. C’est ce qui a donné lieux aux « indépendances », mais c’est encore un autre débat.

Il est important de ne pas fantasmer le passé non plus, mais de le comprendre, il faut s’imposer une certaine rigueur pour ne pas réagir avec émotion mais plutôt avec lucidité. Comprendre réellement les concepts de panafricanisme, son histoire, sa contre histoire, les échecs comme les réussites.

 

Votre livre parle aussi de la culture, de l'éducation et de la jeunesse. Quelles sont les solutions concrètes que vous préconisez pour régler les problématiques liées à ces trois domaines ?

 

C’est facile de parler de là ou je suis et de proposer des solutions. En ce qui me concerne, j’ai fait dons de quelques livres à la médiathèque de Bargny au Sénégal. J’espère pouvoir collaborer très prochainement avec des écoles dans des villages reculés et penser à d’éventuelles traductions du livre (oral via un professeur ou écrite) dans nos langues pour que cela ne reste pas « élitiste ».

Je crois fermement que nos politiques, dans chaque pays, doivent davantage s’investir dans l’éducation et la formation de la jeunesse. Dans nos pays, les jeunes ne sont pas suffisamment accompagnés. Ils n’ont pas de perspectives au point de préférer mourir en méditerranée. Les gouvernements doivent prendre leurs responsabilités car il n’y a pas d’avenir possible si nous négligeons les jeunes.

Les programmes scolaires doivent également être réformés en fonction des enjeux et de l’Histoire du pays. Les parents lorsqu’ils le peuvent ont aussi un rôle fondamental à jouer concernant l’encouragement à la lecture des plus jeunes.

 

Quels messages avez-vous à lancer aux Africains et à ceux qui ignorent l'Histoire de l'Afrique ?

 

Si l’on vous bassine les oreilles avec le fait que « des Africains ont vendu d’autres Africains » et que tous nos malheurs viennent de cette traîtrise, sachez que vos ancêtres ont une Histoire grandiose qui ne doit jamais se limiter à la fourberie et à la mesquinerie de quelques individus.

Dans l’Histoire du monde, il y a toujours eu des traîtres, mais aussi des personnes du côté de l’amour, de la vérité et de la justice. L’Afrique n’y échappe pas. Respectons-nous, et honorons les anciens.

 

Quels sont vos projets pour l'avenir ?

 

Pour le moment, je suis dans l’aventure littéraire. J’aimerai m’investir davantage dans l’éducation. Pour le reste, l’avenir nous le dira.

 

Votre dernier mot ?

 

Mes parents n’ont jamais fait leurs études à l’étranger. Leurs parents avant eux non plus. Ils viennent de familles très modestes, mais ils se sont donné les moyens d’avoir une meilleure vie pour leurs enfants. Ils ont rompu le cycle.

Tout le monde ne vit pas les mêmes situations certes, mais il faut cesser de se complaire dans l’assistanat. Tout ce que j’ai découvert sur l’Histoire du monde et de l’Afrique, c’est parce que j’ai choisi de ne pas me complaire dans mon ignorance.

L’Histoire est là pour nous permettre à mieux comprendre le monde d’aujourd’hui et à avancer. Comme dirait Fatou Diome : le ressentiment n’est pas un projet.

Enfin, votre état d’esprit détermine qui vous êtes et ce que vous réaliserez dans votre vie. C’est donc la première chose sur laquelle il faut travailler.


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